Bloc-notes Éco

Quelle transmission des prix du pétrole aux prix des carburants ?

Mise en ligne le 14 Octobre 2021
Auteurs : Erwan Gautier, Magali Marx, Paul Vertier

Billet n°233. Une hausse de 1% du prix du gazole raffiné importé se traduit in fine par une hausse de 0,75% du prix HT et de 0,3% du prix TTC du gazole à la pompe en France. L’ajustement est progressif mais rapide : après une semaine, la hausse du prix HT est de 0,45% soit plus de 50% de la transmission finale. Les prix réagissent de la même manière à un choc à la hausse ou à la baisse.

Image Réaction du prix du gazole à un choc de 1% du coût de la matière première
Graphique 1 : Réaction du prix du gazole à un choc de 1% du coût de la matière première Sources : Ministère de la transition écologique, Reuters. Calcul des auteurs

Note : 14 jours ouvrés après un choc de 1% sur le prix du gazole raffiné sur le marché de Rotterdam, le prix HT du gazole dans les stations-services françaises a augmenté de 0,72%. En rouge, estimation de l’effet moyen sur le prix HT; en bleu, estimation de l’effet moyen sur le prix TTC à partir de la part du prix HT dans le prix TTC (41%) ; zones grisées : intervalles de confiance à 95% de l’estimation.

Depuis plusieurs mois, sous l’effet de la remontée du prix du pétrole, les prix des carburants à la pompe sont orientés à la hausse (+20,2% sur un an pour le gazole en septembre 2021) après avoir fortement chuté au début 2020. Même si le poids des carburants à la pompe dans le panier moyen de consommation des ménages est relativement faible (4% environ dans le panier de l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé), la forte volatilité de leur prix contribue de façon significative aux variations de l’inflation en France (Kalantzis et Ouvrard, 2018). Enfin, les achats relativement fréquents de carburants et le mode d’affichage public des prix font que leur prix est particulièrement suivi par les ménages, ce qui affecte leur perception de l’inflation ou du pouvoir d’achat (Coibion et Gorodnichenko 2015). Ce billet propose de décrire la fixation des prix des carburants en France, et comment les variations du prix du pétrole raffiné se répercutent sur ces derniers.

Relier les variations du coût de la matière première aux variations de prix des carburants

Le prix à la pompe (toutes taxes comprises (TTC)) peut se décomposer en deux parties distinctes : les taxes (une taxe de montant fixe par litre, la TICPE - Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques - et la TVA, proportionnelle au prix incluant la TICPE) qui représentent environ 60% du prix TTC et le prix hors taxe (HT) (Graphique 2).

Image Décomposition du prix TTC des carburants (septembre 2021)
Graphique 2 : Décomposition du prix TTC des carburants (septembre 2021) Sources : Ministère de la transition écologique, Reuters, Bloomberg. Calcul des auteurs.

Note : Prix TTC en euros par litre – moyenne septembre 2021 : 1,58€ pour l’essence SP95 et 1,45€ pour le gazole. Sur 1,45€ de prix moyen du gazole, la TICPE représente 0,61€, la TVA 0,24€, et le prix HT 0,60€ (dont 0,45 € de matière première, et 0,14€ de marge ou d’autres coûts). Le prix HT représente 41% du prix TTC.

C’est cette deuxième composante qui peut varier à une fréquence quotidienne. Le prix HT intègre en particulier le coût d’achat de la matière première (carburant raffiné importé ou produit dans des raffineries en France), les coûts de distribution (main d’œuvre, transport…) et enfin la marge des distributeurs. Le prix de la matière première fluctue quotidiennement en suivant étroitement les évolutions du prix du pétrole brut (Brent), et dépend aussi des coûts de raffinage. Le prix en euros des carburants raffinés vendus en gros pour être importés et qui sont échangés sur le marché européen (cotés sur le marché de Rotterdam notamment) permet de suivre quotidiennement les variations du coût de la matière première auxquelles font face les stations-service. Par exemple, quand le prix de la matière première augmente, le coût d’achat de cette matière première augmente pour la station et sa marge diminue voire disparait si elle ne répercute pas immédiatement cette variation de coût. Pour décrire la façon dont les stations transmettent ces variations de coûts aux consommateurs, nous utilisons les données granulaires et exhaustives de prix des carburants publiées par le site du Ministère de l’Économie et des Finances depuis 2007 (https://www.prix-carburants.gouv.fr/) et collectées pour l’ensemble des stations françaises à une fréquence quotidienne (soit environ 10 000 stations et 30 millions de prix individuels).

Les stations modifient en moyenne leur prix une fois par semaine seulement

Si les prix des carburants changent fréquemment, ils ne changent pas tous les jours, alors que c’est le cas du prix de la matière première. En moyenne, le prix des carburants reste fixe pendant environ 5 jours. Quand ils changent, les prix hors taxes s’ajustent en moyenne de 2% aussi bien à la hausse qu’à la baisse, ce qui correspond à des changements d’environ 1 centime sur le prix TTC. Les petits changements de moins de 1% sont très peu fréquents. Cette inertie des prix peut s’expliquer en partie par le fait que l’affichage des prix des carburants se termine souvent par une dernière décimale en 0, 5 ou 9, ce qui implique des changements moins fréquents et de plus grande ampleur (Levy et al. 2011).

Il existe des différences importantes dans le comportement d’ajustement des prix entre les stations, en particulier entre les stations pratiquant des prix en moyenne plus faibles que la moyenne et celles pratiquant des prix plus élevés. Les stations pratiquant des prix plus faibles modifient leurs prix plus fréquemment que les autres : la durée pendant laquelle un prix reste fixe est d’environ 3 jours alors qu’elle est de 6 à 7 jours ouvrés pour les stations dont les prix sont plus élevés que la moyenne.

Une variation du coût de la matière première est totalement intégrée aux prix des carburants après 4 semaines

Suite à une variation du coût de la matière première, les prix des carburants s’ajustent progressivement. Il faut en moyenne 11 jours ouvrés pour observer 90% de la transmission d’une variation de coût aux prix et la répercussion totale aux prix des carburants prend environ 20 jours ouvrés. Toutefois, plus de la moitié de la transmission aux prix est déjà effectuée en une semaine.

Pour un choc de 1% sur le prix du gazole raffiné, le prix HT du gazole augmente à long terme de 0,75% (Graphique 1). Cela se traduirait par une hausse du prix TTC de 0,3%, compte tenu du montant fixe par litre de la TICPE. Ces élasticités de long terme sont cohérentes avec la part du gazole raffiné dans le coût total de la production du service (Graphique 2) qui inclut d’autres coûts de distribution (transport, main d’œuvre…) : à long terme, les stations transmettent l’ensemble de la hausse du coût de la matière première à hauteur de sa part dans les coûts totaux. Si on raisonne en niveau de prix, une hausse de 1% du prix du gazole importé (pour un prix initial de 0,45 euro en septembre 2021) équivaut à 0,45 centime d’euro et se traduit par une hausse identique à terme pour le prix TTC du gazole (c’est-à-dire 0,3% du prix initial du gazole, égal à 1,45 euros en septembre 2021).  

Le prix du produit raffiné dépendant des évolutions du prix du pétrole brut (Brent), la réponse des prix HT des carburants aux évolutions du prix du Brent est très proche de celle obtenue avec le produit raffiné. À long terme, l’ampleur de la réaction du prix HT est légèrement plus faible (0,70%) et l’écart entre les effets de long terme reflète le poids du coût du pétrole dans le coût de production du produit raffiné (environ 90%).

Image Hétérogénéité de la réaction des prix HT à une hausse de 1% du coût du gazole raffiné (Rotterdam), selon le niveau de prix
Graphique 3 : Hétérogénéité de la réaction des prix HT à une hausse de 1% du coût du gazole raffiné (Rotterdam), selon le niveau de prix Sources : Ministère de la transition écologique, Reuters. Calcul des auteurs

Note : "Prix très bas", resp. "très élevés", désigne les stations avec un prix inférieur au 1er quartile), resp. avec un prix supérieur au 3ème quartile). "Prix bas", resp. "élevés", désigne les stations avec un prix entre le 1er quartile et la médiane, resp. entre la médiane et le 3e quartile.

Il existe par ailleurs des différences entre stations dans la transmission des variations de coût. Celles pratiquant des prix plus faibles que la moyenne répercutent un peu plus les variations de coût (Graphique 3). Cette transmission, plus élevée à long terme, traduit une part de la matière première plus importante dans le coût total pour ces stations. In fine, en niveau de prix, une hausse du prix du diesel importé de 0,45 centime d’euro se traduit toutefois par une hausse identique en centime pour toutes les stations. Les différences entre les stations sur les durées d’ajustement sont cependant très faibles et plus de 90% du choc est intégré par toutes les stations en une dizaine de jours ouvrés.

Enfin, la question de l’asymétrie de réaction est souvent un sujet d’interrogation pour les ménages. Dans le cas que nous étudions, la réponse des stations à une baisse du coût d’achat de la matière première est similaire à la réponse à une hausse de ce coût (Graphique 4): les prix des carburants s’ajustent à la même vitesse et l’ampleur de l’ajustement de long terme est identique, un résultat fréquemment mis en avant dans la littérature académique en la matière, bien que cette dernière ne fournisse pas de résultats univoques (Deltas et Polemis, 2020).

Image Réaction des prix HT du gazole à une hausse, et à une baisse en valeur absolue, de 1% du coût du gazole raffiné
Graphique 4 : Réaction des prix HT du gazole à une hausse, et à une baisse en valeur absolue, de 1% du coût du gazole raffiné Sources : Ministère de la transition écologique, Reuters. Calcul des auteurs

Note : 14 jours ouvrés après un choc à la hausse de 1% sur le prix du gazole raffiné sur le marché de Rotterdam, le prix HT du gazole a augmenté de 0,7% (courbe continue). Après un choc à la baisse de 1%, le prix a baissé de 0,7% après 14 jours (courbe pointillée en valeur absolue). Zone grisée : intervalle de confiance à 95% de l’estimation.