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Pourquoi une inflation plus élevée aux États-Unis qu'en Zone Euro ?

Mise en ligne le 2 Février 2017
Auteurs : Vincent Grossmann-Wirth, Eric Monnet

Billet n°5. Depuis 2012, l’écart d’inflation sous-jacente entre États-Unis et zone euro est dû en majorité au rôle très différent des loyers dans les deux indices de prix. En moyenne, cette différence contribue à 70% de l’écart, autant pour la zone euro que pour la France. L’interprétation des écarts d’inflation entre pays doit tenir compte des cycles immobiliers, même si le coût des soins de santé a récemment soutenu aussi l’inflation américaine.

Image Etats Unis - quartier économique
Pourquoi une inflation plus élevée aux États-Unis qu'en Zone Euro ?

Le rôle de la hausse et du poids des loyers dans l’inflation sous-jacente

Pour effectuer la comparaison transatlantique, l’inflation est mesurée par l’IPC (indice des prix à la consommation) pour les États-Unis et l’IPCH (indice des prix à la consommation harmonisé) pour la zone euro (ZE). L’analyse privilégie ici l’inflation dite "sous-jacente", définie comme l’inflation des prix hors énergie et alimentaire. Les prix de l’énergie et des biens alimentaires sont plus volatils et, notamment pour l’énergie, sont principalement déterminés par des facteurs internationaux. Il est donc utile de les mettre de côté lorsque l’on veut procéder à une comparaison des différences fondamentales d’inflation entre pays.

L’inflation sous-jacente aux États-Unis s’établissait en décembre 2016 à 2,2 %, soit 1,3 point de plus qu’en ZE et 1,8 point de plus qu’en France (toutes les mesures sont en glissement annuel). Une décomposition plus fine des indices montre que la dynamique des loyers explique une grande partie de l’écart entre pays. Cela tient à deux facteurs :

-   D’une part, les loyers ont connu depuis 2012 une croissance beaucoup plus rapide aux États-Unis qu’en ZE et en France (cf. graphique 1) ;

-   D’autre part, le poids des loyers dans l’indice des prix est plus important aux États-Unis (40% de l’indice des prix sous-jacent, contre seulement 12 % en ZE et 10 % en France). Dans l’indice américain, contrairement à l’européen, les loyers imputés aux propriétaires ("owner equivalent rent") sont inclus et représentent deux tiers du poids des loyers.

Ce poids plus élevé renforce ainsi l’effet de la hausse des loyers sur l’indice des prix aux États-Unis.

Image Forte hausse des loyers aux États-Unis depuis 2012
Graphique 1 : Forte hausse des loyers aux États-Unis depuis 2012
IPC pour US (BLS), IPCH pour FR et ZE (Eurostat), ga en %.

La similarité transatlantique des inflations sous-jacentes hors loyers

Pour mettre en évidence plus clairement le rôle des loyers, considérons les indices sous-jacents hors loyers pour chacune des économies considérées. L’inflation sous-jacente aux États-Unis serait nettement plus faible si les loyers étaient exclus de l’indice des prix (1,2 % en décembre 2016, contre 2,2 % avec loyers), alors qu’elle ne serait quasiment pas modifiée en France et en ZE (cf. graphiques 2A. et 2B.). Au total, la contribution des loyers explique en décembre 2016 trois quart de l’écart des inflations sous-jacentes entre les États-Unis et la France, et plus de la moitié entre les États-Unis et la ZE. Depuis fin 2012, en moyenne, près de 70% de cet écart (autant pour la France que pour la ZE) est ainsi dû à la différence d’évolution des loyers.

Image Moindre écart transatlantique d’inflation « sous-jacente hors loyers »  A. Inflation sous-jacente US (BLS), ZE et FR (Eurostat), ga en %
Graphique 2 : Moindre écart transatlantique d’inflation "sous-jacente hors loyers"
A. Inflation sous-jacente US (BLS), ZE et FR (Eurostat), ga en % (ZE et FR (Eurostat), glissement annuel en %)
Image Moindre écart transatlantique d’inflation « sous-jacente hors loyers » B. Inflation sous-jacente hors loyers US (BLS), ZE et FR (Eurostat), ga en %
B. Inflation sous-jacente hors loyers US (BLS), ZE et FR (Eurostat), ga en % (ZE et FR (Eurostat), glissement annuel en %)

Le différentiel d’inflation de part et d’autre de l’atlantique depuis 2012 est donc surtout dû à la forte divergence entre les marchés immobiliers américain et européen. Le marché américain a en effet enregistré une nette reprise après une bulle d’une ampleur historique (Grossmann-Wirth V., Rivaud S. et Sorbe S. (2011)), alors que les marchés européens ont connu en moyenne une crise initialement moins violente mais prolongée, en particulier en France (Sutter C., Faubert V. et Monnet (2015)Monnet et Thubin (2017)).

Le rôle spécifique en 2016 des prix des soins de santé aux États-Unis

En 2016, le graphique 2B indique aussi que les loyers ne suffisent plus à expliquer le différentiel d’inflation (l’écart entre la courbe rouge d’un côté, et les courbes noire et bleue de l’autre se creuse). La hausse de l’inflation sous-jacente aux États-Unis depuis fin 2015 provient en effet également de la contribution du prix des soins de santé. Pour le montrer, construisons pour chaque économie des indices sous-jacents « hors logement et santé » ; ceux-ci montrent que, sans ces deux composantes, l’inflation sous-jacente aux États-Unis serait de 0,5 % en décembre 2016, contre 0,7 % en ZE et 0,6 % en France (cf. graphique 3).

Image Inflations « sous-jacentes » hors logement et  soins de santé quasiment égales
Graphique 3 : Inflations "sous-jacentes" hors logement et soins de santé quasiment égales (US (BLS), ZE et FR (Eurostat), ga en %)

Pour autant, l’inflation des soins de santé est peu robuste aux différentes mesures, contrairement à celle des loyers. En effet, dans l’indice PCE (personal consumption expenditures index), qui est la référence de la Réserve fédérale américaine, la hausse est nettement moins marquée (l’équivalent européen de cet indice étant moins utilisé, l’IPC reste privilégié ici). Ce phénomène encore récent et peu documenté doit donc être évalué avec prudence.

De la nécessité d’intégrer le cycle immobilier dans l’analyse de l’inflation

Il ne s’agit pas de préconiser l’utilisation d’un indice hors loyers (ni d’un indice hors loyers et hors santé) : n’incluant plus qu’une partie restreinte des biens de consommation et des services, ce dernier serait peu informatif en lui-même. Cependant, cet exercice montre que les différences dans l’évolution des loyers, et plus récemment  des soins de santé, permettent d’expliquer l’essentiel de l’écart des taux d’inflation domestique entre les États-Unis et la ZE depuis 2012. 

Si la reprise économique est effectivement plus avancée aux États-Unis qu’en ZE depuis 2012, la plus forte croissance de l’inflation outre-Atlantique est surtout imputable à la reprise de son marché immobilier. De ce fait, il y a lieu d’intégrer l’analyse des marchés immobiliers à celle des cycles économiques dans les comparaisons d’inflation. En outre, d’un point de vue méthodologique, il convient de continuer à s’interroger sur la manière dont les différences de poids des loyers dans les indices de prix entre l’Europe et les États-Unis peuvent influer sur le différentiel d’inflation constaté. Des développements sont en cours pour intégrer également les loyers imputés (c’est-à-dire un équivalent du prix des loyers pour les propriétaires occupants) dans les indices de prix européens (cf. box 4, p. 48, du Bulletin économique de la BCE, 2016, vol. 8).

Crédit image : Storylanding, The World Financial Center as seen from the Circle Line tour boat (wikimedia commons)