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Quel bilan tirer de la mise en œuvre du mécanisme de tiering ?

Mise en ligne le 12 Mars 2021
Auteurs : Samuel Bieber

Billet n°208. Le tiering, ou mécanisme à 2 paliers, appliqué depuis plus d’un an dans la zone euro, permet d’exempter de taux d’intérêt négatifs une partie des réserves détenues par les banques auprès de la banque centrale. Ce mécanisme a été mis en place afin de soutenir la transmission de la politique monétaire par le canal des banques. Il n’a pas eu d’effets indésirables sur les taux du marché monétaire.

Image Excédents de liquidité exemptés et non exemptés de taux négatifs (milliards d’euros)
Graphique 1 : Excédents de liquidité exemptés et non exemptés de taux négatifs (milliards d’euros) Source : Banque de France, Banque centrale européenne

Note : Sur 874 milliards d’euros d’excédent de liquidité en France, 181 sont exemptés de taux négatifs (moyenne de la période allant du 04/11/20 au 15/12/20).

Le 30 octobre 2019, la BCE a introduit un mécanisme à deux paliers pour la rémunération des excédents de liquidité (le two-tier system, ou plus communément appelé tiering). En exemptant des taux négatifs une partie des réserves excédentaires des banques commerciales, il vise à soutenir la transmission de la politique monétaire via le système bancaire. Des types analogues de dispositifs avaient déjà été mis en place par d’autres banques centrales recourant aux taux d’intérêt négatifs (Japon, Suisse, pays nordiques).

Le tiering vise à atténuer d’éventuels effets indésirables des taux négatifs sur la transmission de la politique monétaire

Les établissements bancaires de la zone euro sont tenus de déposer des liquidités sur leur compte auprès de la banque centrale. Le niveau de réserve exigible, calculé par établissement, est fonction du montant des dépôts de court terme de la clientèle. Les réserves sont rémunérées à un taux d’intérêt qui est l’un des taux directeurs de la banque centrale, et qui influence les taux auquel les banques prêtent et empruntent de la liquidité entre elles sur le marché monétaire. Ce système permet, en période normale, à la banque centrale de contrôler la demande de liquidité des banques et de lisser l’évolution des taux sur le marché monétaire. Toutefois, dans la situation actuelle et le contexte de la politique d’achats d’actifs, le système bancaire se retrouve mécaniquement avec un montant global de réserves supérieur au niveau obligatoire requis. Contrairement aux réserves obligatoires, rémunérées au taux de 0%, ces liquidités excédentaires sont rémunérées au taux de la facilité de dépôt, qui est actuellement négatif (-0,5% depuis septembre 2019), ce qui présente donc un coût pour les banques.

Les banques considérées dans leur ensemble ne peuvent réduire ce coût en prêtant leur liquidité excédentaire, car la taille globale de cette dernière est déterminée par l’action des banques centrales : le comportement individuel des banques peut seulement influencer la répartition des liquidités excédentaires. Puisque les taux négatifs ne se répercutent pas sur l’ensemble des ressources des banques (notamment les dépôts de la clientèle de détail), ce coût pourrait peser sur la rentabilité du système bancaire, et donc in fine sur le coût ou le volume du crédit. Dans ce contexte, le tiering vise à conforter la transmission de la politique monétaire via le système bancaire.

Le tiering exempte des taux négatifs une partie des liquidités excédentaires des banques commerciales déposées auprès de la banque centrale. Cette part exemptée est définie comme un multiplicateur du montant des réserves obligatoires et a été calibrée à 6. Elle est rémunérée au même taux que les réserves obligatoires des banques, soit 0% actuellement. Le tiering repose donc sur deux paramètres : un multiplicateur qui détermine le niveau maximum d’exemption des taux négatifs, aujourd’hui fixé à 6, et un taux de rémunération, fixé à 0%. Le Conseil des Gouverneurs a précisé que ces deux paramètres pourraient évoluer en fonction de la situation macroéconomique.

En pratique, deux questions se posent : dans quelle mesure le tiering est-il utilisé par les banques commerciales ? Et quels sont les effets de cette mesure sur le marché monétaire, en particulier sur les taux ? Nous pouvons répondre à ces questions en utilisant les  données publiées par la Banque centrale européenne et la Banque de France.

Le tiering est pleinement utilisé par les banques commerciales

Actuellement, environ 855 milliards d’euros d’excédents de liquidité des banques commerciales sont exemptés des taux négatifs dans la zone euro (moyenne de la période allant du 04/11/20 au 15/12/20). 2 497 milliards d’euros restent rémunérés au taux négatif de -0,5%. Les liquidités excédentaires exemptées de taux négatifs sont concentrées dans les grands pays de la zone : Allemagne (236 milliards d’euros), France (181) et Italie (104) (graphique 1).

Les établissements bancaires ont ajusté leurs dépôts auprès de la banque centrale dès la mise en œuvre du tiering. Les banques qui avaient des exemptions inutilisées ont emprunté, à des taux négatifs, auprès d’autres acteurs financiers qui avaient un excès de liquidité, soit sur le marché interbancaire non-sécurisé, soit sur le marché repos. Des transferts entre établissements d’un même groupe bancaire ont également eu lieu. Lors de la période précédant la mise en œuvre du tiering (du 18/09/19 au 29/10/19), seulement 72% des liquidités pouvant être exemptées au titre du tiering l’auraient été, alors que lors de la première période d’application (du 30/10/19 au 17/12/19), 95% des liquidités pouvant être exemptées l’ont effectivement été (graphique 2). Cette redistribution des liquidités a eu lieu dans tous les pays, particulièrement dans les pays dont les banques avaient le plus besoin de liquidités, ce qui permet de relativiser le constat d’une certaine fragmentation du marché monétaire entre juridictions de la zone euro. Désormais, environ 99% des liquidités pouvant être exemptées le sont effectivement. Le tiering, qui est utilisé à son plein potentiel par les banques commerciales, permet donc d’atténuer les effets potentiellement indésirables des taux négatifs sur l’intermédiation bancaire et de conforter la transmission de la politique monétaire.

Image Part de la liquidité effectivement exemptée des taux négatifs sur l’exemption possible
Graphique 2 : Part de la liquidité effectivement exemptée des taux négatifs sur l’exemption possible Source : BdF, BCE

Note : Les périodes considérées sont les périodes de constitution des réserves obligatoires, ou périodes de maintenance. Le calendrier de ces périodes est disponible sur le site de la BCE.

Les effets du tiering sur le marché monétaire sont limités

Le mécanisme de tiering n’a pas entraîné de hausse durable des taux d’intérêt sur le marché monétaire. Mal calibré, il aurait pu créer une pression à la hausse sur ces taux, ce qui aurait été contraire à l’orientation accommodante de la politique monétaire. En effet, les liquidités exemptées de taux d’intérêt négatifs n’étant plus échangées sur le marché monétaire, le tiering risquait de générer une rareté relative de la liquidité, qui aurait pu se traduire par une hausse des taux. Toutefois, le paramétrage a laissé suffisamment de liquidités non exemptées de taux négatifs pour que les taux d’intérêt moyens des transactions soient inchangés, que ce soit sur le marché non-sécurisé (prêts en blanc) et sur le marché sécurisé (prêts de liquidité contre un titre servant de collatéral ou repos, graphique 3). Seule une légère augmentation du taux repo italien a été observée lors des premières semaines du tiering, mais elle s’est résorbée. Les taux se sont donc maintenus à un bas niveau, conformément à l’orientation de la politique monétaire en zone euro.

Image Évolution d’€STR et des taux sécurisés par type de collatéral souverain
Graphique 3 : Évolution d’€STR et des taux sécurisés par type de collatéral souverain (%) Source : BdF, BCE

Note : Taux au jour le jour, pondérés par le volume des transactions. Les taux des transactions sécurisées sont répartis selon l’origine du titre souverain servant de garantie au prêt. Dernière date : 15/12/2020.   

Le tiering a entraîné une redistribution de la liquidité bancaire entre pays de la zone euro. Les excédents de liquidité sont répartis de manière structurellement inégale entre pays. Après la mise en œuvre du tieringcertaines banques ont emprunté à d’autres entités financières afin de bénéficier au maximum de l’exemption. Des flux entre pays ont ainsi été observés, avec une baisse de la part de l’excédent de liquidité dans les pays avec une forte concentration de liquidité, et une hausse dans les autres. En somme, le tiering a causé une distribution plus égale de la liquidité au sein de la zone euro, tout en confortant la transmission de la politique monétaire.